vendredi 24 février 2017

La gratitude du vivant et la misère humaine



Alors que le pêcheur se repose d’une longue marche sur un banc de parc, un passant vient pour s’asseoir à ses côtés, mais reste debout quelques instants en fixant une statue chinoise d’un bouddha rieur. Comme pour tenter de créer la conversation, il s’exclame à haute voix avec assurance :

Le passant: Comment peut-il rire de la sorte alors qu’il y a tant de calamité dans le monde, tant de maladies, tant de tristesse et d’amertume en cette vie. Ha! ces Chinois, ils croient à bien des idioties de la sorte. En plus, il a l’air d’avoir de l’argent plein les mains et une foule de riches objets dans son sac à dos. Il peut bien rire, il a tout ce qu’il lui faut. Il ne lui manque que de bons souliers pour ne pas s’écorcher les pieds.

Alors qu’il prend place au côté de l’homme sur le banc, le passant jette un œil amusé à l’autre et lui demande:

Le passant: Savez-vous ce que représente cette statue monsieur ?

Après quelques secondes de réflexion, le pêcheur répond :

Le pêcheur: ce que j’en connais vaguement, c’est qu’elle représente un moine de la Chine ancienne… qui propageait la bienveillance, le bonheur et la plénitude d’un grand cœur. J’ai entendu dire qu’il se promenait et accueillait la tristesse des personnes de ce monde. Je crois que cette statue a été fabriquée et installée à de multiples endroits, car elle permettait aux gens d’inspirer leur vie par les symboles qu’elle représente : la santé, le bonheur, la prospérité et la longévité. Même aujourd’hui, plusieurs placent cette statue ou de petites statuettes dans leur demeure ou à l’extérieur de celles-ci pour favoriser la circulation des bonnes énergies.

Et le passant de répliquer :

Le passant: Et vous, qu’en pensez-vous de toute cette mascarade de joie et du bonheur de cette statue ?

Le pêcheur répond ainsi :

Le pêcheur: je crois que les êtres humains ont certaines croyances auxquelles ils se réfèrent pour égailler leur vie. Afin de la rendre moins terne, ils tentent de remplacer cette perception par des symboles qui leur rappelle l’espoir, la joie et le bonheur possible.

La réaction du passant ne se fait pas attendre :

Le passant: c’est bien beau tout ça, mais ce n’est pas tout le monde qui a le luxe de s’offrir de la joie et du bonheur. Beaucoup vivent dans la souffrance de la guerre ou dans l’inquiétude à savoir s’ils vont être en mesure de manger aujourd’hui et demain. Ça me semble une vision à courte vue de ce que représente la vie de millions, voire de milliards de personnes. Ne me faites pas croire que vous êtes en accord avec tout cela!

En approuvant de la tête aux paroles de son interlocuteur, le pêcheur prend une pause et ajoute :

Le pêcheur: vous avez bien raison, monsieur, beaucoup de personnes vivent des situations misérables que nous ne pouvons même pas imaginer, car nous ne les vivons pas nous-mêmes. Nous pouvons saisir cependant certains indices nous indiquant que la vie est loin d’être drôle pour plusieurs et qu’elle s’avère souvent très difficile.

Je crois que votre point de vue sur les difficultés des gens est très important. Je suis convaincu que nous devons régulièrement porter une attention dans notre cœur à la souffrance des autres. La compassion envers notre prochain devrait personnellement et collectivement nous amener à faire des actions qui visent à soulager leur fardeau.

Le passant: Vous voyez, j’avais bien raison de voir cette statue comme de la foutaise!

Alors que le passant s’apprête à se relever pour s’en retourner chez lui d’un air taciturne, le pêcheur lui demande s’il peut rester encore quelques minutes pour lui permettre de compléter sa réflexion.

L’homme acquiesce et se rassoit.

Le pêcheur continue donc de parler :

Le pêcheur: Bien que je vous accorde raison sur ce que vous m’avez mentionné au sujet de la souffrance des gens, lorsque je regarde cette statue, il me vient aussi une autre impression. Vous savez, cette richesse suggérée par l’argent ou la poche que porte le moine peuvent être vues autrement également. Je n’y vois pas juste une richesse physique des biens de ce monde, mais la richesse de la vie elle-même. Quand vous respirer l’air dans vos poumons, que vous regarder les beautés de la nature, le sourire des gens ou le soleil et les étoiles briller, ceci représente de grandes richesses qui meublent la vie. Ce moine semble dire, regardes tout ce que tu as et souris à la vie, rempli ton cœur de joie et de gratitude pour tout ce qu’elle t’offre.

Constater la misère et les difficultés de la vie ne sont pas opposées à prendre conscience des grandeurs du vivant. Remplir son cœur de cette joie de vivre la vie et le bonheur de s’ouvrir à sa richesse nous permettent d’avoir accès à une grande énergie. Ceci devrait nous permettre d’y voir aussi un peu de lumière. Ce sourire à la vie devrait nous rendre du coup sensibles à toute sa richesse et aussi à toute sa fragilité.

La joie et le bonheur ne devraient pas être des écrans opaques à la souffrance. Nous devrions nous accorder l'ouverture de célébrer la vie. Nous permettre de prendre contact soi-même et en sensibilisant les autres à l’importance de s'ouvrir à une grande attention bienveillante et de lui porter secours lorsque nécessaire. Pour moi, la gratitude envers la vie et la sensibilité à ses besoins sont deux faces d’une même médaille et devraient faire partie de notre quotidien.

Dans un élan pour réagir à ce que le pêcheur vient de lui dire, le passant retient ses paroles et se calme aussitôt. Après quelques instants, les yeux pleins d’eau, il dit à voix basse :

Le passant: Vous savez, toute cette misère dans le monde et autour de moi m’affecte grandement. Je pense à ceci tous les jours et me sens impuissant. J’aimerais tant qu’on y remédie et que tous et toutes puissent avoir accès à cette joie et ce bonheur. C’est pour cela que je m’en suis pris à cette statue. C’est comme si elle me rappelait encore une fois que nous ne sommes pas assez attentifs à cette souffrance. J’y voyais seulement un désir égoïste de chaque personne se retournant sur sa joie et son propre bonheur. J’apprécie beaucoup que vous m’ayez fait part de votre perception. Je vais réfléchir à tout ceci. Merci!

En serrant la main du pêcheur, le passant lui jette un subtil sourire, se lève et poursuit sa route.




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