Et l’homme
vient s’assoir sur une roche, face à la mer, près du pêcheur. Après un long
moment de silence, il laisse entendre une expiration de lassitude.
Le pêcheur : Est-ce que quelque chose ne va pas ?
L’homme ne
répond pas. Son regard se perd au loin, mais son attention semble être attirée
par les mouvements dans sa tête. Et puis il dit :
J’ai l’impression
que ma vie fait du sur place, que chaque jour est pareil à celui qui le précède.
La routine m’assaille et je ne vois pas comment tout ça vaut la peine d’être
vécu. J’ai le mal à l’âme !
Le pêcheur : Qu’est-ce qui te fait dire que chaque jour est pareil à l’autre ?
L’homme : Lorsque j’ouvre les yeux, je me lève, vais me brosser les dents,
prends ma douche, déjeune, me rends au travail, passe ma journée à bosser,
reviens pour faire le souper et mange, m’occupe des devoirs des enfants, prends
quelques minutes pour écouter la télévision et finalement, je vais me coucher.
Je fais tout ceci de la même manière tous les jours.
J’ai le
sentiment que je suis dans une roue de hamster qui tourne constamment et qui ne
va nulle part. Je débarque de cette roue quelques fois la fin de semaine ou
dans les temps de vacances, mais embarque à nouveau aussitôt que la routine
revient. Je crois que ma vie ne va nulle part.
Le pêcheur : Veux-tu qu’on regarde ta situation de plus près ensemble ?
L’homme : J’ai fait le tour… mais si tu penses que nous pouvons trouver une
solution pour me sortir de ce bourbier, je suis bien ouvert à en discuter.
Le pêcheur : Prenons un exemple très simple que tu as mentionné. Lorsque tu te
brosses les dents, est-ce que c’est toujours la même quantité de dentifrice que
tu mets sur ta brosse à dents ? Est-ce que ce sont toujours les mêmes pensées
que tu vois passer en toi à ce moment précis ? Est-ce que tu prends conscience
des mouvements de cette brosse dans ta bouche, de la saveur de la pâte
dentifrice, de ressentir l’effet de fraîcheur qui résulte d’un bon brossage ?
Prends-tu attention à tous les mouvements qui sont nécessaires pour effectuer
cette simple tâche ? Il en va de même de toutes les autres tâches qui meublent
ta journée.
L’homme : Bien, c’est sûr que non. Je n’ai pas de temps à perdre, car je dois me
rendre au travail et puis faire toutes les autres tâches de cette vie de
routine.
Le pêcheur : Je t’invite à regarder tout ceci d’un autre angle. Je ne te dis pas de
prendre plus de temps pour réaliser cette tâche. Ce que je veux te faire voir
c’est plutôt de prendre une plus grande attention à ce que tu fais. En fait, cette
tâche va prendre exactement le même temps. C’est à la profondeur de la
conscience de cette action comme de toutes les autres que je te convie. À une pleine présence de ce qui se
manifeste.
L’homme : Tu crois que si j’apporte une plus grande conscience à ce que je fais,
ceci va me donner plus de joie de vivre, plus de raisons de faire toutes ces
actions. Même si elles m’apparaissent se répéter.
Le pêcheur : Aucune action n’est jamais exactement la même. Une multitude de nuances
accompagnent chacune de celles-ci. Si elles nous apparaissent semblables ou
pareilles, c’est que nous les interprétons en catégories d’actes, nous les
résumons avec notre pensée en disant qu’elles ne varient pas. C’est une
simplification illusoire de notre vie.
Chaque acte,
chaque pensée, chaque émotion, chaque sentiment ne sont jamais exactement les
mêmes. C’est lorsque nous nous plaçons dans une pleine attention que nous en
découvrons toute la richesse. Regarde un chat jouer avec une balle. Il ne dit
pas : ah, c’est toujours la même routine de jouer avec cette balle! Il est
pleinement dans l’acte qu’il effectue. Regarde un bébé découvrir les mouvements
d’un mobile tournant au-dessus de son lit, n’est-il pas pleinement attentif et
en découverte de cet objet. Il n’a pas résumé sa vie en disant, le mobile
tourne toujours de la même façon, ma vie n’a aucun sens.
L’homme : Ça m’apparaît une explication assez simpliste.
Le pêcheur : C’est peut-être assez simpliste comme tu le dis. Ce qui m’apparaît
simpliste pour ma part, c’est de voir les actes de notre vie comme de simples
répétitions sans saveur. Je crois que l’intensité de la vie n’est pas à
découvrir par les résumés que nous en faisons. Je crois plutôt qu’elle se
manifeste par la redécouverte à tous les jours de tous les gestes que nous
réalisons grâce à une plus grande attention envers ceux-ci.
Si tu veux, je
te suggère d’essayer pour le prochain jour ou la prochaine semaine de porter
une plus grande attention à tout ce que tu fais. À faire comme si chaque
journée était une nouvelle naissance et comme lorsque tu étais jeune, redécouvrir ce qui meuble ton quotidien. Peut-être prendras-tu acte de toute la
vitalité qui s’en dégage.
L’homme : Je ne perds rien à essayer! Au point où j’en suis! Merci tout de même!
J’adore ce pêcheur si présent au miracle de la vie…
RépondreEffacerBisous bisous ♥♥♥