mardi 1 août 2017

Réenchanter sa vie




Le pêcheur se repose sur la galerie de son appartement en sirotant tranquillement une tasse de thé. Il reconnaît le passant qui marche sur le trottoir de l’autre côté de la rue et lui dit d‘une voix portante :

Le pêcheur : Bonjour monsieur. Cela fait un petit bout de temps que je ne vous avais vu !

Le passant : Et bien… si ce n’est pas mon viel ami toujours calme !

Le pêcheur : Avez-vous un peu de temps pour relaxer et jaser un peu avec moi sur ma nouvelle galerie. J’ai loué cet appartement depuis seulement deux semaine. Il me ferait plaisir de vous offrir un bon thé à la camomille ou tout autre chose.

Le passant : Bien sûr, je ne savais pas trop quoi faire aujourd’hui, alors j’ai décidé de prendre une petite marche pour me changer les idées. J’arrive !

Le passant prend bien soin de laisser passer quelques voitures, traverse la rue et monte les marches de l’escalier de bois vernis pour finalement s’assoir dans une vieille chaise en osier, tout de même assez confortable.

Le passant : Vous buvez du thé vous ! Par chez nous, c’est du café fort ou une bonne bière que les personnes prennent pour relaxer.

Le pêcheur : Et bien oui. Mon garçon est un grand connaisseur de thé vous savez, et il m’en a fait parvenir plusieurs sachets de différentes saveurs. Il m’a même dit que le thé est semble-t-il la boisson la plus bue au monde, après l’eau. Ma grand-mère pour sa part, lisait l’avenir dans les feuilles de thé. C’était une croyance très rependue dans son temps. Elle a cessé cette pratique lorsqu’elle a anticipé la mort de son fils et que cet événement se soit concrétisé dans la réalité.  Au-delà de ces anecdotes, personnellement j’aime bien l’effet apaisant d’une bonne tasse fumante et surtout la senteur subtile des différents aromes qui s’en dégage. Tout ceci a un effet calmant tout en étant très rafraichissant.

Le pêcheur verse le liquide chaud dans la tasse du visiteur et en ajoute un peu dans la sienne.

Le passant : Et bien…je vais essayer, mais je ne vous garantis pas que je vais boire tout le contenu de ce que vous me servez.

En prenant une gorgée du liquide de manière précipitée, le passant s’exclame d’une voix brusque :

Le passant : Ah…c’est chaud…et puis ça goûte les fleurs…c’est un peu amer. Merci tout de même.

Le pêcheur s’assoit à son tour dans l’autre chaise et dépose sa tasse sur la petite table. Il ajoute.

Le pêcheur : Alors vous me disiez que vous vouliez vous changer les idées. Est-ce trop indiscret de vous demander s’il y a quelque chose qui vous tracasse ?

Le passant : Je ne sais pas trop…Tout me paraît sombre de ces temps-ci. C’était le temps que je sorte de la maison, avec ma télé ouverte à longueur de journée, j’étais en train de devenir fou. Je n’en reviens pas de constater comment nous sommes bombardés de nouvelles qui font état de multiples meurtres, de corruptions, d’attentats terroristes, de déceptions envers les politiciens et les politiciennes. Les pertes d’emplois, les fermetures de commerces, la maltraitance des personnes âgées, des enfants ou d’animaux, les séparation et divorces ou encore la solitude, tout ceci n’est rien pour égayer notre vie. De plus, tout le monde a l’air sans entrain, stressés, maussades et sans égard envers les autres. J’en suis le meilleur exemple ne trouvez-vous pas ?

Le pêcheur : Vous avez bien raison, le monde est bien désenchanté en effet.

De répondre le pêcheur tout en évitant d’approuver la dernière question.

Le passant : Vous nommez cela être désenchanté vous…moi je pense que le monde est en pleine dépression…et pas seulement économique. Une sorte de déprime morale généralisée où plus personne n’est accroché à rien. Mais dites-moi, qu’entendez-vous par le monde est désenchanté ?

Le pêcheur : Je rattache le désenchantement à deux dimensions. La première c’est la déconnexion de l’être humain avec l’état d’enchantement qu’il avait en arrivant au monde sur cette terre. Chaque personne a goûté dans les premières journées, semaines, mois ou années de sa vie à une ouverture sur la découverte et l’émerveillement des couleurs, des sons, des visages. Le bébé veut toucher, goûter, découvrir tout ce qui l’entoure. L'élan, la passion et l’intensité qu’il met à se concentrer sur ce qu’il découvre, va se perdre graduellement au fil des années. C’est comme si l’être humain passait d’un état de nature d’émerveillement où tout parait enchanté, à un désenchantement.

Le passant : Pourquoi donc, perdons-nous cet état d’enchantement ?

Le pêcheur : Il est possible qu’avec les responsabilités, les devoirs à réaliser, le travail à effectuer, les problèmes d’argent ou autres, mais aussi les déceptions rencontrées par la personne sur son chemin, qu’elle finisse par perdre de vue l’état d’émerveillement dans laquelle elle baignait auparavant. C’est comme si cet état naturel s’endormait pour laisser place aux autres choses qui semblent plus importantes, aux multiples rêves, illusions et interprétation de la vie.

Le passant : Alors qu’en est-il de l’autre dimension du désenchantement ?

Le pêcheur : Je crois que dans toute l’histoire de l’humanité, l’être humain n’a jamais été exposé à autant d’informations. Bien que certaines soient positives et instructives, il y a une masse dominante de choses négatives qui sont présentées. Tous les exemples que vous avez mentionnés et bien d’autres encore sont exposés à tous et à toutes sans arrêt par une multitude de moyens de communications : radios, télévisions, médias écrits, revues diverses, médias sociaux, sites web, etc.  Même les bébés et les enfants sont de plus en plus affectés par ce climat de noirceur, de peur et d’atrocités indescriptibles. Nous sommes conscients des attaques terroristes en direct, des génocides, des meurtres, des conséquences des guerres passées et actuelles. Même si nous ne nous en rendons pas compte, tout ceci affecte le moral et la vitalité des personnes. Il en résulte un sentiment individuel et collectif de déprime, de colère, d’impuissance, d’intolérance et de perte de joie de vivre.

Le passant : Les choses n’iront certainement pas en s’améliorant. Nous sommes donc condamnés à nous maintenir dans une noirceur et une sorte de dégout de la vie alors. Est-ce qu’il y a au moins un moyen de s’en tirer, d’avoir un espoir quelconque de retrouver le sentier de l’enchantement ?

Le pêcheur : Je répondrai oui à cette question, mais il en va de notre volonté personnelle et collective. Ceci passe par le réenchantement volontaire de nos vies pour chacun d’entre nous.

Le passant : Comment réenchanter nos vies justement ?

Le pêcheur : Le réenchantement de la vie commence par une toute première prise de conscience, soit celle de constater que nous avons suivi les deux sentiers du désenchantement, que nous ne nous sentons pas bien dans des vies complètement désenchantées et que nous prenons la décision de nous mettre en action pour réanchanter nous-même notre vie.

Le passant : Pouvez-vous me donner des exemples de moyens ?

Le pêcheur : L’état de nature de l’enthousiasme n’est pas disparu, il s’est juste endormi comme je l’ai mentionné. Il est l’heure de le réveiller pour qu’il nous énergise à nouveau, ne croyez-vous pas ?

Le passant prend une gorgée de thé à la camomille, sans grimasser cette fois et maintien son attention sur ce que le pêcheur va ajouter.

Le pêcheur poursuit :

Le pêcheur : Nous pouvons retrouver cet état d’enthousiasme à nouveau en nous émerveillant face à la nature ou aux petites découvertes au quotidien. L’enchantement peut se retrouver aussi dans tout ce que nous pouvons créer par les arts comme la musique, la peinture, l’écriture, le théâtre, la danse, la construction, les activités sportives ou caritatives ou tout autre moyen expressif. Ce sont des portes ouvertes sur notre créativité et l’expression de ce qui est le plus vibrant dans le cœur de l’être humain.

Chaque moment de détente et les petits présents que nous offrons aux autres ou que nous nous offrons à nous-mêmes sont autant de moyens pour réanchanter notre vie. Si je reviens à ce fameux café à la camomille, juste de voir la vapeur s’échapper de ma tasse, de le boire et de discuter en bonne compagnie, tout ceci participe aussi à ce réenchantement de ma vie et peut être aussi un peu de la vôtre. Nous avons la possibilité de minimiser ces moments ou de les revaloriser et de comprendre que finalement, ils coopèrent à la joie de vivre et à un certain bonheur.

Le fait de remplacer nos pensées négatives pas de plus positives peut aider à couper nos habitudes de réactions désenchantées face à tout. La critique, la médisance, les plaintes de toutes sortes, les ragots, l’intolérance devraient céder leurs places à la valorisation, aux encouragements, à l’acceptation de la différence, à l’espoir et au courage de faire face à ce qui se présente. Ces attitudes sont davantage l’expression de force mises en actions et favorisent l’enthousiasme et la passion face à la vie.

Le passant : C’est vrai que ce point de vue est plus positif que de rester coincer dans nos croyances que tout est noir et qu’il n’y a plus rien à faire. Il en demeure tout de même qu’à grande échelle, ces petits bonheurs des individus ne peuvent pas régler les plus grands problèmes de notre monde malheureusement.

Le pêcheur : Je crois que nous vivons présentement dans une période charnière entre ce désenchantement et vers un possible réenchantement à l’échelle de notre monde. Plus les personnes vont ressentir individuellement le mal de vivre plus elles vont rechercher des moyens de se sortir de cette perception de la vie. Plus elles vont rechercher des moyens de rendre leur vie et celle des autres plus passionnantes, plus elles vont se mettre en mode créatif de chercher d’autres avenues. C’est à chacun de choisir de réenchanter sa vie et ceci à quelque niveau de la société où il se retrouvent.

Il est temps également que les personnes en responsabilité dans ce monde prennent conscience de leur capacité de réenchanter la vie. L’abolition des guerres et de la peur est possible. Il est possible d’offrir de l’eau pour tout le monde, de créer du travail pour tous, d’offrir des soins de santé et d’éducation à tous les habitants de cette planète. Il est possible d’instaurer des pratiques collectives qui valorisent la créativité, le respect, le partage et les échanges harmonieux. Tout ceci est possible individuellement et collectivement.

Le passant : J’aimerais tant que cela se réalise. Il me semble que c’est un travail titanesque de réenchanter le monde.

Le pêcheur : Le réenchantement m'apparaît à la portée de chacun. Il commence par moi et par vous.

Le pêcheur présente sa tasse devant lui en invitant le passant à cogner la sienne pour lui souhaiter la santé mais surtout une vie réenchantée.


 

 




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