Le pêcheur se repose sur la galerie de son appartement en
sirotant tranquillement une tasse de thé. Il reconnaît le passant qui marche
sur le trottoir de l’autre côté de la rue et lui dit d‘une voix portante :
Le pêcheur : Bonjour monsieur. Cela fait un petit
bout de temps que je ne vous avais vu !
Le passant : Et bien… si ce n’est pas mon viel ami toujours calme
!
Le pêcheur : Avez-vous un peu de temps pour relaxer et jaser un
peu avec moi sur ma nouvelle galerie. J’ai loué cet appartement depuis
seulement deux semaine. Il me ferait plaisir de vous offrir un bon thé à la
camomille ou tout autre chose.
Le passant : Bien sûr, je ne savais pas trop quoi faire aujourd’hui,
alors j’ai décidé de prendre une petite marche pour me changer les idées. J’arrive
!
Le passant prend bien soin de laisser passer quelques
voitures, traverse la rue et monte les marches de l’escalier de bois vernis
pour finalement s’assoir dans une vieille chaise en osier, tout de même assez
confortable.
Le passant : Vous buvez du thé vous ! Par chez nous, c’est du café
fort ou une bonne bière que les personnes prennent pour relaxer.
Le pêcheur : Et bien oui. Mon garçon est un grand connaisseur de
thé vous savez, et il m’en a fait parvenir plusieurs sachets de différentes
saveurs. Il m’a même dit que le thé est semble-t-il la boisson la plus bue au
monde, après l’eau. Ma grand-mère pour sa part, lisait l’avenir dans les
feuilles de thé. C’était une croyance très rependue dans son temps. Elle a
cessé cette pratique lorsqu’elle a anticipé la mort de son fils et que cet
événement se soit concrétisé dans la réalité. Au-delà de ces anecdotes, personnellement j’aime
bien l’effet apaisant d’une bonne tasse fumante et surtout la senteur subtile des
différents aromes qui s’en dégage. Tout ceci a un effet calmant tout en étant
très rafraichissant.
Le pêcheur verse le liquide chaud dans la tasse du visiteur
et en ajoute un peu dans la sienne.
Le passant : Et bien…je vais essayer, mais je ne vous garantis pas
que je vais boire tout le contenu de ce que vous me servez.
En prenant une gorgée du liquide de manière précipitée, le
passant s’exclame d’une voix brusque :
Le passant : Ah…c’est chaud…et puis ça goûte les fleurs…c’est un
peu amer. Merci tout de même.
Le pêcheur s’assoit à son tour dans l’autre chaise et dépose
sa tasse sur la petite table. Il ajoute.
Le pêcheur : Alors vous me disiez que vous vouliez vous changer
les idées. Est-ce trop indiscret de vous demander s’il y a quelque chose qui
vous tracasse ?
Le passant : Je ne sais pas trop…Tout me paraît sombre de ces
temps-ci. C’était le temps que je sorte de la maison, avec ma télé ouverte à
longueur de journée, j’étais en train de devenir fou. Je n’en reviens pas de
constater comment nous sommes bombardés de nouvelles qui font état de multiples
meurtres, de corruptions, d’attentats terroristes, de déceptions envers les
politiciens et les politiciennes. Les pertes d’emplois, les fermetures de
commerces, la maltraitance des personnes âgées, des enfants ou d’animaux, les
séparation et divorces ou encore la solitude, tout ceci n’est rien pour égayer
notre vie. De plus, tout le monde a l’air sans entrain, stressés, maussades et
sans égard envers les autres. J’en suis le meilleur exemple ne trouvez-vous pas
?
Le pêcheur : Vous avez bien raison, le monde est bien désenchanté
en effet.
De répondre le pêcheur tout en évitant d’approuver la
dernière question.
Le passant : Vous nommez cela être désenchanté vous…moi je pense
que le monde est en pleine dépression…et pas seulement économique. Une sorte de
déprime morale généralisée où plus personne n’est accroché à rien. Mais
dites-moi, qu’entendez-vous par le monde est désenchanté ?
Le pêcheur : Je rattache le désenchantement à deux dimensions. La
première c’est la déconnexion de l’être humain avec l’état d’enchantement qu’il
avait en arrivant au monde sur cette terre. Chaque personne a goûté dans les
premières journées, semaines, mois ou années de sa vie à une ouverture sur la
découverte et l’émerveillement des couleurs, des sons, des visages. Le bébé
veut toucher, goûter, découvrir tout ce qui l’entoure. L'élan, la passion et
l’intensité qu’il met à se concentrer sur ce qu’il découvre, va se perdre graduellement
au fil des années. C’est comme si l’être humain passait d’un état de nature d’émerveillement
où tout parait enchanté, à un désenchantement.
Le passant : Pourquoi donc, perdons-nous cet état d’enchantement ?
Le pêcheur : Il est possible qu’avec les responsabilités, les
devoirs à réaliser, le travail à effectuer, les problèmes d’argent ou autres, mais
aussi les déceptions rencontrées par la personne sur son chemin, qu’elle
finisse par perdre de vue l’état d’émerveillement dans laquelle elle baignait
auparavant. C’est comme si cet état naturel s’endormait pour laisser place aux autres
choses qui semblent plus importantes, aux multiples rêves, illusions et interprétation
de la vie.
Le passant : Alors qu’en est-il de l’autre dimension du désenchantement
?
Le pêcheur : Je crois que dans toute l’histoire de l’humanité,
l’être humain n’a jamais été exposé à autant d’informations. Bien
que certaines soient positives et instructives, il y a une masse dominante de
choses négatives qui sont présentées. Tous les exemples que vous avez
mentionnés et bien d’autres encore sont exposés à tous et à toutes sans arrêt par
une multitude de moyens de communications : radios, télévisions, médias
écrits, revues diverses, médias sociaux, sites web, etc. Même les bébés et les enfants sont de plus en
plus affectés par ce climat de noirceur, de peur et d’atrocités
indescriptibles. Nous sommes conscients des attaques terroristes en direct, des
génocides, des meurtres, des conséquences des guerres passées et actuelles. Même
si nous ne nous en rendons pas compte, tout ceci affecte le moral et la
vitalité des personnes. Il en résulte un sentiment individuel et collectif de
déprime, de colère, d’impuissance, d’intolérance et de perte de joie de vivre.
Le passant : Les choses n’iront certainement pas en s’améliorant.
Nous sommes donc condamnés à nous maintenir dans une noirceur et une sorte de
dégout de la vie alors. Est-ce qu’il y a au moins un moyen de s’en tirer, d’avoir
un espoir quelconque de retrouver le sentier de l’enchantement ?
Le pêcheur : Je répondrai oui à cette question, mais il
en va de notre volonté personnelle et collective. Ceci passe par le
réenchantement volontaire de nos vies pour chacun d’entre nous.
Le passant : Comment réenchanter nos vies justement ?
Le pêcheur : Le réenchantement de la vie commence par une toute
première prise de conscience, soit celle de constater que nous avons suivi les
deux sentiers du désenchantement, que nous ne nous sentons pas bien dans des
vies complètement désenchantées et que nous prenons la décision de nous mettre
en action pour réanchanter nous-même notre vie.
Le passant : Pouvez-vous me donner des exemples de moyens ?
Le pêcheur : L’état de nature de l’enthousiasme n’est pas disparu,
il s’est juste endormi comme je l’ai mentionné. Il est l’heure de le réveiller
pour qu’il nous énergise à nouveau, ne croyez-vous pas ?
Le passant prend une gorgée de thé à la camomille, sans
grimasser cette fois et maintien son attention sur ce que le pêcheur va
ajouter.
Le pêcheur poursuit :
Le pêcheur : Nous pouvons retrouver cet état d’enthousiasme à
nouveau en nous émerveillant face à la nature ou aux petites découvertes au
quotidien. L’enchantement peut se retrouver aussi dans tout ce que nous pouvons
créer par les arts comme la musique, la peinture, l’écriture, le théâtre, la
danse, la construction, les activités sportives ou caritatives ou tout autre
moyen expressif. Ce sont des portes ouvertes sur notre créativité et l’expression
de ce qui est le plus vibrant dans le cœur de l’être humain.
Chaque moment de détente et les petits présents que nous
offrons aux autres ou que nous nous offrons à nous-mêmes sont autant de moyens
pour réanchanter notre vie. Si je reviens à ce fameux café à la camomille,
juste de voir la vapeur s’échapper de ma tasse, de le boire et de discuter en
bonne compagnie, tout ceci participe aussi à ce réenchantement de ma vie et
peut être aussi un peu de la vôtre. Nous avons la possibilité de minimiser ces
moments ou de les revaloriser et de comprendre que finalement, ils coopèrent à
la joie de vivre et à un certain bonheur.
Le fait de remplacer nos pensées négatives pas de plus
positives peut aider à couper nos habitudes de réactions désenchantées face à
tout. La critique, la médisance, les plaintes de toutes sortes, les ragots, l’intolérance
devraient céder leurs places à la valorisation, aux encouragements, à l’acceptation
de la différence, à l’espoir et au courage de faire face à ce qui se présente.
Ces attitudes sont davantage l’expression de force mises en actions et
favorisent l’enthousiasme et la passion face à la vie.
Le passant : C’est vrai que ce point de vue est plus positif que
de rester coincer dans nos croyances que tout est noir et qu’il n’y a plus rien
à faire. Il en demeure tout de même qu’à grande échelle, ces petits bonheurs
des individus ne peuvent pas régler les plus grands problèmes de notre monde malheureusement.
Le pêcheur : Je crois que nous vivons présentement dans une
période charnière entre ce désenchantement et vers un possible réenchantement à
l’échelle de notre monde. Plus les personnes vont ressentir individuellement le mal
de vivre plus elles vont rechercher des moyens de se sortir de cette perception
de la vie. Plus elles vont rechercher des moyens de rendre leur vie et celle
des autres plus passionnantes, plus elles vont se mettre en mode créatif de
chercher d’autres avenues. C’est à chacun de choisir de réenchanter sa vie et
ceci à quelque niveau de la société où il se retrouvent.
Il est temps également que les personnes en responsabilité
dans ce monde prennent conscience de leur capacité de réenchanter la vie. L’abolition
des guerres et de la peur est possible. Il est possible d’offrir de l’eau pour tout
le monde, de créer du travail pour tous, d’offrir des soins de santé et d’éducation
à tous les habitants de cette planète. Il est possible d’instaurer des
pratiques collectives qui valorisent la créativité, le respect, le partage et les
échanges harmonieux. Tout ceci est possible individuellement et collectivement.
Le passant : J’aimerais tant que cela se réalise.
Il me semble que c’est un travail titanesque de réenchanter le monde.
Le pêcheur : Le réenchantement m'apparaît à la portée de chacun. Il commence par moi
et par vous.
Le pêcheur présente sa tasse devant lui en invitant le
passant à cogner la sienne pour lui souhaiter la santé mais surtout
une vie réenchantée.
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