Le pêcheur se lève très tôt ce
matin. Il a décidé de se rendre sous l’arbre près du quai pour voir le soleil
se lever au-dessus de la mer. Après une courte, mais intense période de
méditation, il enfile ses souliers de marche, sort à l’extérieur et prend le
chemin vers l’endroit prévu.
Pas si tôt sur le trottoir, il
respire doucement le doux parfum des feuilles d’érables entremêlé à l’arôme des
fleurs de lilas transportés jusqu’à ses muqueuses nasales par une subtile brise
d’été.
Après quelques pas, il baisse
les yeux et s’aperçoit qu’une chenille arborant un doux manteau jaune et noir,
se déplace en ondulant juste devant lui. Il la voit à peine, car seule la lumière
d’un lampadaire éclaire l’insecte à cette heure matinale. Elle s’arrête comme
pour le regarder, mais ce qu’elle fait est tout autre. Le pécheur s’accroupie
sur ses genoux, comme pour mieux découvrir ce qu’elle fait réellement. Il se
dit en la voyant plus clairement :
Le pêcheur :
Elle
ne me regarde pas du tout. Elle est en train de manger un petit morceau d’herbe.
Je me suis fait prendre par les couleurs de son camouflage. J’ai eu le réflexe d’essayer d’expliquer moi-même ce qu’elle faisait, mais je me suis laissé étourdir par mes propres interprétations. Et il poursuit :
c’est fascinant de voir comment la vie s’exprime de multiples manières. J’ai ma
réalité vivante et le monde animal et végétal ont aussi leur propre réalité. A travers
cette diversité, c’est la vie, le vivant qui se déploie.
Après quelques secondes d’observation
sans commenter ce qui se déroule sous ses yeux et les jambes quelque peu endolories,
il se relève difficilement, évite de mettre son pied sur ce minuscule être
vivant et continue sa marche.
Regardant au loin, il voit l’horizon
qui découvre un mince filet de lueur annonçant lentement le lever du soleil.
Plus il avance, plus il distingue les formes foncées des nuages se confondant
avec les reliefs des montagnes. La clarté montante révèle graduellement d’elle-même
la singularité des formes. Le pêcheur se fait la remarque.
Le pêcheur :
Pourquoi
je tente de définir et de décrire en moi-même, ce que la vie me présente dans
toute sa générosité et ses propres nuances. À toutes les fois que je décris ce
que je vois ou ce que je ressens, je limite par mes interprétations la Vie qui
se manifeste.
Comme rythmé par chacun de ses
pas l’amenant jusqu’au quai, la lueur se fait de plus en plus présente jusqu’à
ce qu’il perçoive enfin le soleil lui-même surplomber la montagne au loin.
Celui-ci éclaire maintenant le ciel et, dans un même mouvement, son reflet sur l’eau
présente une large bande lumineuse bercée par les vaguelettes. Le cercle jaune céleste
dansant ainsi avec le liquide terrestre.
Le pêcheur :
Wouaw…quel
présent magnifique m’est révélé ce matin par la puissance du déploiement de l’existant.
De constater le pêcheur.
Alors qu’il rejoint l’arbre
près du quai, un événement incroyable se produit. En regardant cet arbre, qu’il
a pourtant vu de multiples fois, il le perçoit tout à coup dans toute sa
plénitude. Il en voit les moindres détails et avec une clarté indescriptible.
Il a même l’impression de transcender l’idée qu’il a de cet arbre, et de
rejoindre celui-ci comme s’il en faisait partie et comme si ce dernier faisait
partie de lui. Comme s’il était en osmose ou fusionné avec ce qui se présente
devant lui. Cette intense expérience le transporte au sommet de l’embrassement de
la conscience vivante qu’il ressent dans toute sa grandeur. Ceci lui procure
simultanément un sentiment de profonde sérénité et de joie intense. Il a l’impression
d’être la vie qui entre en pure intimité avec le vivant.
Alors que cette sensation
diminue, il s’assoie doucement sous l’arbre et prend un moment pour s’essuyer
les larmes qui ruissellent sur ses joues.
Le pêcheur :
La
luminosité du vivant ne passe-t-elle pas par cette attention transcendante ? de
se questionner le pêcheur sur ce qu’il vient de vivre. N’avons-nous pas ce
pouvoir à portée de main lorsque nous laissons l’attention s’ouvrir à ce qui
est ?
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