vendredi 7 juillet 2017

La vie est une expérience et non un résultat

Sortant tout juste du bistrot, le pêcheur aperçoit un jeune cycliste dans la vingtaine affairé à réparer la roue arrière de son vélo. Il se risque alors de commenter la scène de la manière suivante :

Le pêcheur : Il a l’air bien mal en point ce vélo !

Le cycliste : Oui monsieur…j’en suis bien désappointé voyez-vous. Alors que je m’apprêtais à battre mon record de 300 km en un jour, en voulant faire l’allé-retour vers un village un peu plus loin, voilà que je roule dans une crevasse tout juste à un kilomètre de chez moi. Vous voyez, ma roue arrière est toute croche et je n’arrive pas à la redresser. Il n’y a rien à faire, je dois m’en retourner à pied. Bravo, il y a vraiment pas de quoi se prendre pour un véritable recordman ! De plaisanter le jeune homme. Il ajoute : bonne journée monsieur !

Et il s’en retourne en direction de chez lui tout en marchant à côté du vélo grinçant. Voyant que le vieil homme se dirige dans la même direction, il l’invite à faire un bout de chemin ensemble.

Le cycliste : Je me reprendrai un autre jour. Je ne suis pas à un record près !

Le pêcheur : Vous avez déjà battu d’autres records alors ?

Le cycliste : Oui absolument et dans presque tous les sports que j’ai pratiqués depuis que je suis tout jeune. Que ce soit au hockey, au soccer, au baseball ou au basketball, j’ai toujours carburé à l’adrénaline d’être le meilleur. Meilleur compteur de but, meilleur dribleur de ballon et meilleur frappeur. Oui mais malheureusement, j’ai fait bien des jaloux autour de moi et croyez-moi, je ne me suis pas attiré que des amis. C’est pour cela que je me suis tourné vers un sport un peu plus individuel et là, je me bats contre les meilleurs cyclistes. Je le sais parce que je peux les suivre sur le net.

Le pêcheur : Et que vous ont apporté tous ces records ?

Le cycliste : Je ne sais pas vraiment. À part des étagères pleines de trophées poussiéreux…c’est curieux, je n’arrive pas à me souvenir exactement des actions qui m’ont amenées à ces victoires. Oui il y a bien quelques petites choses...mais tous ces efforts pour ces quelques petits souvenirs…ça me fait réfléchir tout d’un coup !

Le pêcheur : À quoi réfléchissez-vous ?

Le cycliste : Que tous ces efforts n’en valent peut-être pas vraiment la peine. Dites-moi, vous n’avez jamais voulu être le meilleur et à battre des records dans votre vie. Je vous imagine dans votre jeune temps à soulever des altères dans l'idée de dépasser les charges de Louis Cyr. De se moquer le jeune homme.

Le pêcheur : Non pas vraiment, répond le pêcheur tout en s’esclaffant de rire.

Le cycliste : Je vous taquine. J’espère que vous n’en êtes pas vexé ?

Le pêcheur : Pas du tout. Je vous ai trouvé très drôle. Non dans ma vie j’ai été attiré par ce qui meuble l’expérience de la vie plutôt que de rechercher des résultats quelconques.

Le cycliste : J’ai toujours cru que de ne pas se fixer des objectifs et des buts qui nous font sortir de notre zone de confort enlevait le piquant dans la vie. Je crois que le dépassement de soi est un tonic puissant pour rendre la vie plus intéressante. Ne croyez-vous pas ?

Le pêcheur : C’est possible, mais cela n’a pas rendu ma vie terne ou sans piquant comme vous le dites.

Le cycliste : Désolé. C’est mon réflexe de winner qui prend encore le dessus.

Le pêcheur : En fait, avec le temps, j’ai constaté que la redécouverte de l’expérience rend la vie très intense et pleine de vitalité. C’est comme si chaque événement ou choses qui se présente de notre environnement devenait plus important et avec plus de relief. Cette attitude face à l’expérientiel enrichie la présence à cette vie et me permet de vibrer avec celle-ci.

Le cycliste : Ce n’est donc pas juste le résultat qui compte. J’ai souvent entendu la phrase: ce n’est pas le but qui est important mais le chemin parcouru. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ?

Le pêcheur : Un résultat ou un but n’ont rien de mal en soi. C’est peut-être juste la manière de les aborder qui peut faire une différence.

Les deux hommes continuent de marcher tranquillement. Le jeune cycliste garde le silence comme pour inviter le pêcheur à poursuivre.

Le pêcheur : Nous pouvons par exemple pratiquer un sport avec une équipe ou même seul. Le résultat ou le but peuvent faire partie de la pratique de ce sport. Cependant, tant et aussi longtemps que nous restons seulement concentrés sur l’objectif, nous avons tendance à laisser en arrière-plan tout ce qui se déroule. Tous les gestes, les senteurs, les ambiances, les sensations physiques, les énergies en présence, etc. ne sont plus au centre de l’attention. Ils sont obscurcis ou voilés par le désir de compter un but, de remporter une partie, de gagner un tournoi et finalement de rapporter à la maison un trophée à placer sur une étagère. C’est l’attention poussée vers l’avant qui s’érige en maître dans notre tête. Mais quelle déception lorsque nous perdons ou n’atteignons pas les records que nous nous étions fixés. Tout le reste est à jeter aux ordures de l’existence car cela ne correspond pas aux attentes élevées que nous avions. Pourtant, même lorsqu’une équipe ou un sportif perdent, il y a toute une expérience qui est là et qui possède sa propre richesse pour ceux et celles pouvant l’apprécier.

Le cycliste : C’est bien vrai…mais il y a pourtant une grande satisfaction quand nous gagnons…rien ne peut remplacer cette joie de gagner. Qu’en pensez-vous ?

Le pêcheur : Il est vrai que le fait de gagner peut certainement provoquer un certain plaisir. C’est toutefois un plaisir variable selon les personnes, car il ne fait pas vibrer tout le monde de la même intensité. Il est aussi momentané, car il qui peut s’estomper rapidement par la suite. Jusqu’à ce qu’un autre gain soit à nouveau en perspective. Mais qu’est-ce vraiment que gagner pour vous ?

Le cycliste : C’est avoir été meilleur qu’un autre. S’être démarqué et être reconnu. Il y a plein d’avantages à être un gagnant. Ça donne du prestige et ça fait du bien à notre Égo. Certaines personnes peuvent même en faire une carrière si elles se sont suffisamment démarquées.

Le pêcheur : Est-ce que c’est votre objectif de vie d’en faire une carrière professionnelle ?

Le cycliste : Pas vraiment. Je fais ce sport pour moi-même et pour enrichir ma santé, ma forme et me donner un stimulant de vie.

Le pêcheur : Je crois qu’il y a toujours une autre personne pour en dépasser une autre. Une fois c’est vous et une autre fois c’est une autre. Une fois vous serez prestigieux et une autre fois vous passerez inaperçu. Inévitablement, ce sont les plus jeunes avec plus de tonus musculaires qui en viendrons à dépasser les plus vieux. Il s’avère souvent catastrophique pour ces derniers de perdre l’image de vainqueurs qu’ils avaient d’eux-mêmes. Certains en viendront tristement à se sentir des bons à rien en comparaison aux autres.

Le cycliste : Wouais…c’est toute une autre perspective…ça me donne un choc d’entendre ceci ! Moi qui avait orienté ma vie dans cette direction !

Le pêcheur : Je n’ai pas la prétention d’avoir toute la vérité à ce sujet. Mais pour moi le véritable gain dans la vie, c’est de surmonter les désirs de fixations sur les résultats et se plonger dans l’expérience en présence maintenant. Il y a un gain permanent de vivre en présence avec ce qui est. L’enthousiasme et l’intensité de joie que cela procure m’apparaît de loin supérieur à ces gains momentanés. Nul besoin de trophées pour en témoigner !

Le cycliste : J’arrive tout juste au coin de ma rue. Je vais sûrement repenser à tout ceci en réparant ma roue dans mon garage. Merci pour cette belle discussion.

 


 

 

 

 

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