Descendant tout juste de l’autobus qui le ramène à
son village après une pénible journée dans la métropole située à quelques 100
kilomètres de là, le passant gesticule de façon colérique. Soudain, il aperçoit
le pêcheur marchant tranquillement sur le trottoir et l’interpelle aussitôt.
Le passant : hé ! hé ! c’est vous que j’ai rencontré dernièrement ! Vous aviez parlé
de la gratitude ! Hé bien là, je n’ai pas beaucoup de gratitude envers ce
service en commun. En plus d’être en retard de 15 minutes, j’ai dû attendre au
gros soleil, avant finalement de prendre place dans ce bus bondé. J’ai même dû
rester debout un bon bout de temps avant qu’un ado me laisse enfin sa place. Mais
ce n’est pas tout…
Le pêcheur : Attendez, attendez…reprenez
votre souffle monsieur et allons-nous assoir sur ce banc. Comme je viens de
faire quelques petites emplettes…
Le pêcheur
sort de son sac une belle bouteille d’eau bien fraîche, la débouche et la donne
au passant, à la grande satisfaction de ce dernier.
Le passant : oh que vous me faites plaisir ! J’ai cru que j’allais mourir de
sécheresse !
Avalant une grande gorgée, jusqu’à pratiquement s’y
noyer, il laisse aller un soupir de contentement.
Le passant : Que c’est bon ! Il n’y a rien de meilleur et de plus désaltérant qu’une
bonne eau fraiche !
Même si cette petite pause semble le calmer, il
reprend de plus belle avec toute l’énergie de colère présente quelques minutes auparavant.
Le passant : Vous savez, non seulement le retard, le bus bondé
et le fait d’être debout, mais en plus, nous sommes demeurés pris dans un
bouchon de circulation pendant plus de 30 minutes interminables. Une chance qu’il
y avait au moins l’air climatisé, sinon je crois que nous serions tous morts.
Voyez-vous ça au bulletin télévisé de 18 :00 heures :
-
Malheureusement, 30 personnes sont décédées aujourd’hui
dans un autobus en retard, bondé de monde et sans air climatisé ?
Le pêcheur : Effectivement, ce
n’aurait pas été une très bonne nouvelle.
Le passant : Oui c’est le moins qu’on puisse dire. Ce n’est pas
tout. Je dois me rendre en ville chez le spécialiste pour mes implants dentaires au
moins une fois par semaine dans le prochain mois. Je pense que si ça se
reproduit, je vais complètement perdre les pédales. Vous voyez dans quel état
je suis. Mon cœur ne tiendra pas le coup si ça continue comme ça.
Dites-moi mon ami, pendant que je vous ai débité
toute mon histoire, vous êtes resté bien calme. Comment faites-vous ? J’aimerais
bien savoir si vous seriez aussi calme dans la même situation que moi !
Le pêcheur : Vous savez, le
calme n’est rien d’autre que la constatation et l’acceptation de ce qui est.
Le passant : Que voulez-vous dire par là ?
Le pêcheur : L’impatience, la
colère et l’agitation sont les conséquences de l’attachement à ce que nous
voudrions qui soit. Qu’auriez-vous désiré, autre que ce que vous avez vécu et de
ce que vous m’en avez raconté ?
Le passant : Très facile à répondre. J’aurais voulu que l’autobus
arrive au moins à l’heure, qu’il y en ait un autre pour désengorger les places
disponibles et les allées et qu’il n’y ait pas eu ce foutu bouchon de
circulation. Ah, j’oubliais, est-ce que ça se pourrait que la nouvelle
génération de jeunes pense juste à elle. Auparavant, nous cédions la place à
des personnes plus âgées…il n’y a plus de respect dans ce monde !
Le pêcheur : Croyez-vous
vraiment que tout ce que vous voulez peut toujours être présent et qu’il n’y
aura jamais d’obstacles ? Vous êtes-vous demandé un instant quelles sont les
raisons qui ont pu provoquer les événements que vous avez vécus.
Le passant : Non, je n’avais pas l’idée à cela. J’étais dans le
rejet de ce qui se passait. Je ne voulais pas cela et ça m’a mis dans une telle
colère. Je ne comprends pas ce qui m’a pris. Je n’avais surtout pas envie d’analyser
toute cette situation.
Le pêcheur : Me permettez-vous un court instant de regarder ceci avec vous ?
Le passant : Comme je suis un peu moins énervé, je peux bien
prendre un moment. Dites-moi donc quelles sont ces raisons d’après-vous ?
Le pêcheur : Écoutez, je n’ai
pas les réponses à tout et ne connais pas les raisons de tous les événements.
Il est possible qu’un autobus soit en retard pour plusieurs raisons :
accidents, bris mécanique, déviations sur la route pour causes de travaux, etc.
Pour ce qui est des moyens de transports engorgés, il
est possible que la métropole n’ait pas les moyens de se procurer et de faire
fonctionner plus d’autobus. Peut-être encore qu’un autre autobus ait eu une panne
et un reflux de passagés s’est retrouvé dans le vôtre, ou toutes autres raisons.
Concernant les bouchons de circulation, et bien c’est
la réalité des grandes surfaces urbaines provoquée par le surplus de
population, l’arrivée d’une multitude de véhicules et les réparations
fréquentes des réseaux
routiers. Des solutions sont certainement à l’étude pour faciliter le flux de
circulation, mais les moyens peuvent soit être en cours d’application ou
difficiles à mettre à exécution.
Finalement, concernant la personne qui vous a cédé
sa place, il est possible que certains jeunes, comme de plus vieux aient
tendance à penser juste à eux. Mais encore faut-il savoir si celui que vous
avez rencontré ne vous ait tout simplement pas vu, car plongé dans ses propres
préoccupations ou ses moments d’inattentions.
Ce que je veux vous faire voir, c’est que nous n’avons
pas le contrôle sur tout et bien des raisons inconnues provoquent ce qui se
présente sur notre parcours de vie.
Le passant : C’est bien
facile d’analyser tout ceci quand nous ne sommes pas dans la folie urbaine. Je
ne vous connais pas beaucoup, mais j’ose espérer que vous savez de quoi je
parle quand je dis folie urbaine.
Le pêcheur : Vous savez,
bien que vous m’ayez rencontré dans votre village, j’ai vécu moi-même dans la
grande ville. J’avais une petite voiture et j’étais constamment ralenti dans d’immenses
bouchons de circulation.
Le passant : Dans des
bouchons avec une voiture ? Je n’ose même pas imaginer comment je pourrais
faire pour vivre ainsi ! Vous vous êtes sûrement énervé à votre tour…dites-moi la
vérité !
Le passant, tout heureux de sa réplique et surtout
curieux de ce que le pêcheur va dire, il relève le menton dans un geste de
bravade et attend impatiemment la réponse.
Le pêcheur : La vérité c’est
que moi aussi j’ai eu à plusieurs reprises des réactions émotives d’impatience
et même de colère. Jusqu’au jour où j’ai constaté l’inutilité de ces mécanismes
réactionnels. Ce jour en question où cela faisait plusieurs minutes que j’attendais,
tout en étant préoccupé de ne pas arriver pour le souper à la maison. Je me
suis mis une petite musique zen dans le système audio de mon véhicule.
Le passant : Bon…vous
allez me dire qu’il faudrait que je me mette de la musique zen dans l’autobus ?
Le pêcheur : Non, je vous
raconte seulement quelle a été mon expérience. Je me suis mis à regarder autour
de moi, tout simplement. Je voyais bien quelques émotions monter en moi, mais j’ai
commencé à les laisser aller. Je m’y accrochais de moins en moins, jusqu’à les
délaisser complètement.
Je me suis mis à m’ouvrir à ce qui se passait
autour de moi, pour me rendre compte que je n’étais pas seul dans cette
situation. Je voyais le visage de tous ces gens dans les autres véhicules.
Certains ou certaines présentaient des signes de nervosité ou d’anxiété, mais
plusieurs étaient complètement détendus-es. Je me suis ouvert aux autres
personnes, mais aussi au décor devant moi et à celui dans mon rétroviseur. Je
me suis rendu compte que je commençais à vraiment exister à être en présence
sans le voile de mon discours intérieur. C’est comme si j’enlevais le manteau des
interprétations et des émotions pour laisser une grande place à la réalité de l’existant
dans la pleine acceptation de ce qui se présente.
Lorsque nous sommes pris dans nos mécanismes d’interprétation
sur ce qui se passe et que nous laissons monter l’intensité de nos émotions,
notre attention diminue proportionnellement et nous nous retrouvons pris dans
une vue simplifiée et déformée de la réalité. Nous nourrissons sans le savoir
un malaise et des crispations qui nous emprisonnent. Nous commençons à nous en
prendre à tout et à rien. La moindre perturbation extérieure nous agresse et
nous tentons par tous les moyens de nous sortir de ce guêpier. Ceci devient
rapidement la faute de tout le monde et nous rejetons avec force tout ce qui se
présente.
Le passant : C’est bien dans
cette situation que je me suis retrouvé. Dites-moi, avez-vous un petit truc à
me suggérer pour que mon prochain voyage en ville soit moins pénible.
Le pêcheur : Je vous suggère un
petit exercice très puissant dans ces circonstances : juste au moment où
va commencer à se fabriquer une petite histoire dans votre tête sur ce qui se
passe, regarder celle-ci se construire, tout en respirant doucement et en
essayant de vous détendre. Les émotions vont commencer à vouloir prendre leur
place également, regarder-les se manifester, mais continuez à respirer
lentement. À ce moment, rappelez-vous que vous ne pouvez pas expliquer toutes
les causes de ce qui est en train de se produire. Sans essayer de trouver
toutes ces causes, laissez aller et acceptez volontairement ce qui se passe.
Accepter que vous n’ayez pas le contrôle sur tout et que vous ne pouvez pas
exiger qu’il en soit comme vous le voudriez.
Si le calme commence à prendre place, laissez-lui
de l’espace pour qu’il s’installe pleinement en vous. Commencer à vous ouvrir
ensuite à ce qui vous entoure, souriez et laissez-vous baigner dans la présence
de ce qui se manifeste autour de vous. Donnez de plus en plus d’amplitude à
tout ce qui est, adoptez une pleine ouverture en présence. Vous devriez être en
mesure de découvrir graduellement une multitude de détails de cet environnement
et ressentir un grand sentiment de liberté et de joie intérieure.
Le passant : Vous êtes
certain que cela va marcher ?
Le pêcheur : Tout dépend si
vous essayez vraiment. Je suis convaincu d’une chose, votre prochaine expérience
sera certainement plus sereine et agréable. Qui sait, le prochain passant qui vous
regardera descendre de ce bus aura-t-il la chance de rencontrer une personne joyeuse
et rayonnante.
Avec une touche d’humour, le passant ajoute :
Le passant : Vous me
donnez presque le goût de reprendre le bus tout de suite… Sérieusement, je vous
remercie beaucoup de votre écoute et surtout de tout ce que vous m’avez
suggéré. Oui, j’aimerais bien être calme comme vous un jour!
Le pêcheur : Nul besoin de l’être
comme moi. Vous avez ce calme en vous. Comme je vous ai dit plus tôt, le calme
n’est rien d’autre que la constatation de ce qui est. Au moment où nous
acceptons et nous constatons ce qui nous entoure, nous nous plaçons dans une
position en présence et le calme émerge.
Il faudrait un petit pêcheur à tous les coins de rue…
RépondreEffacerBon long weekend
Gros bisous ♥♥♥